L'expérience de Roediger et Karpicke
Quand je me teste j'apprends, quand je relis j'oublie
Résumé
Les relectures multiples sont très utilisées par les étudiants pour apprendre. Les recherches scientifiques montrent que cette façon de faire débouche sur l'illusion de la compétence. Contrairement aux relectures, le fait de se tester augmente significativement la mémorisation à long terme pour un même temps de travail. Découvrez ces résultats contre-intuitifs dans l'article ci-dessous (Basé sur Roediger et Karpicke, 2006)
Exemple : Université Washington de St. Louis dans l'Illinois printemps 2006
Ils sont cent vingt. Cent vingt étudiants âgés de 18 à 24 ans au printemps 2006 à l'université Washington de St. Louis dans l'Illinois. Ils s'apprêtent à étudier deux textes de 256 et 275 mots respectivement, qu'ils ne connaissent pas sur le thème des “loutres de mer” et du “soleil”. Ils seront ensuite évalués pour savoir ce qu'ils ont appris.
Dans le domaine de l'éducation un test est généralement perçu comme un moyen de mesure de ce qui a été appris, pas comme un moyen d'apprentissage. Et les tests embêtent tout le monde, les enseignants qui doivent les élaborer puis les corriger, les étudiants qui vont les passer. Contrairement à une idée répandue les tests ne sont pas neutres, ce ne sont pas de simples moyens de mesure, ils influencent de façon significative le processus d'apprentissage via la réactivation qu'ils engendrent.
Phase d'apprentissage
Les 120 étudiants sont répartis en trois groupes de 40 pour mesurer l'effet produit par un ou plusieurs tests sur l'apprentissage après une phase de lecture des textes. Quatre périodes de 7 minutes vont se succéder durant l'expérience et les trois groupes ne seront pas toujours soumis aux mêmes exercices durant ces périodes 1 à 4. Des périodes de lecture des textes notées S (Study) alterneront avec des périodes de tests notées T (Test). Le groupe 1 sera soumis au régime SSSS, le groupe 2 au régime SSST et le groupe 3 au régime STTT. Cette alternance représente 28 minutes de travail pour chacun des trois groupes. Durant une période S les étudiants ne peuvent que lire les textes, durant une période T on leur donne une feuille blanche et un stylo pour noter ce dont ils se souviennent. Le contenu et le format de ce qu'ils peuvent écrire sur cette feuille blanche durant les périodes T ne sont pas évalués. Ces périodes nommées “Test” obligent les étudiants à réactiver le contenu de ce qui a été lu précédemment.
Période 1 (7min) | Période 2 (7min) | Période 3 (7min) | Période 4 (7min) | |
Groupe 1 | S | S | S | S |
Groupe 2 | S | S | S | T |
Groupe 3 | S | T | T | T |
Phase d'évaluation de l'apprentissage
Deux évaluations sont ensuite réalisées pour mesurer les informations retenues durant la phase d'apprentissage. La première évaluation se déroule 5 minutes après la phase d'apprentissage et la seconde une semaine plus tard.
Trente items (Idea Units) ont été répertoriés pour mesurer le degré de rétention et de compréhension des textes. Un étudiant qui se souvient des 30 items aura un taux de rétention de 100%=1 et un étudiant qui se rappelle de 12 items sur les deux textes aura un score de 40%=0,4
Résultats
Les données critiques sont les proportions moyennes des items retenus lors de l'évaluation 1 (5 minutes après la phase d'apprentissage) et lors de l'évaluation 2 (1 semaine après la phase d'apprentissage). Elles sont affichées sur la figure 2.
Pour l'évaluation 1 (à 5 minutes), le groupe SSSS qui a pu relire les textes pendant 4x7min fait mieux que le groupe SSST (83% vs. 78%) qui a son tour fait mieux que le groupe STTT (71%). Par contre, une semaine plus tard l'évaluation 2 indique des résultats bien différents. Le groupe STTT qui n'a lu les textes qu'une fois 7 minutes se souvient de 61% des items contre 56% pour le groupe SSST et 40% pour le groupe SSSS. Ces scores convertis en note sur 20 permettent au groupe STTT d'obtenir une note de 12,2/20 contre 08/20 pour le groupe SSSS.
Si on analyse la situation sous l'aspect de l'oubli (forgetting over one week, Fig.3) et non de la mémorisation le constat est pour le moins intéressant : les étudiants qui se sont testés sont ceux qui se souviennent le mieux dans des proportions qui, est-il besoin de le noter, sont loin d'être faibles.
Discussion
Dans le même article, Roediger et Karpicke décrivent une autre expérience basée sur les mêmes textes de départ avec un protocole un peu différent pour mesurer la rétention d'informations en fonction du temps. Les résultats suggèrent le même modèle de fonctionnement de notre apprentissage que l'expérience relatée ci-dessus : le fait de se tester, même sans feedback (personne n'a dit aux étudiants si ce qu'ils inscrivaient sur leur feuille blanche était correct ou non durant les phases 2-3-4 de l'apprentissage), favorise la rétention d'information à long terme (ici 1 semaine). En psychologie cognitive expérimentale cet effet porte le nom de “testing effect”. Il a comme intérêt d'engager l'étudiant dans un processus de réactivation qui va consolider l'apprentissage initial et pas seulement en proposer une mesure. Le fait de se tester n'est pas neutre, il améliore la mémorisation et la métacognition. Exposer l'étudiant au contenu à apprendre (lecture, lecture, lecture ...) est une méthode qui conduit à l'illusion de la compétence, une méthode largement utilisée et parfois même recommandée comme stratégie d'apprentissage. Les lectures successives procurent ce sentiment de facilité face au nouveau contenu à apprendre et permet même de croire que l'on a retenu ce dont il est question puisque si on me demande ce que j'ai compris juste après l'avoir appris, je m'en souviens. C'est donc une méthode adaptée si l'objectif est à très très court terme. Et tout le monde se fait berner, l'étudiant comme l'enseignant qui lui pose une question durant le cours sur un point qui vient d'être évoqué. La désillusion intervient la semaine suivante lorsque l'on pose la même question, ou pire, lorsqu'on fait un examen final ou un partiel.
Sentiment de frustration .....
Se tester régulièrement, écrire sur une feuille blanche ce dont je me souviens sans accès au matériau à apprendre, procure un sentiment désagréable comparé à celui fourni par les lectures successives : un effort est nécessaire pour ressortir ça du cerveau (réactivation), ça ne vient pas tout de suite, je ne suis même pas sûr que ce soit correct, il y a des périodes de plusieurs secondes, voire dizaines de secondes, où rien ne sort, je suis obligé d'apprécier l'étendue des difficultés et de mon incompétence qui passaient inaperçues en utilisant les lectures successives qui me donnaient également bonne conscience. No pain No gain
C'est donc une double pénalité que je m'inflige avec les lectures successives : je ne sais pas que je ne sais pas, je suis incompétent et inconscient de l'être (mauvaise métacognition). A la question « classer sur une échelle de 0 à 7 ce dont vous vous souviendrez dans une semaine » les étudiants qui n'ont pratiqué que les lectures estiment qu'ils se souviendront mieux que ceux qui ont lu une seule fois (4,8 vs 4,0), exactement l'opposé de la réalité.
Vous avez dit bachotage ?
Les étudiants du groupe 1 (SSSS) auront lu 14 fois les textes durant les 28 minutes pour un taux de rétention des informations de 40%, ceux du groupe 3 (RTTT) 3 fois durant les 28 minutes pour un taux de rétention de 61% après une semaine. Ces résultats peuvent aussi nous permettre de comprendre pourquoi on révise la veille au soir ou la nuit qui précède ou même le matin de l'examen : les traces laissées par ces relectures de dernière minute vont perdurer ... quelques minutes. Learn easily, forget quickly
Mémorisation vs. Apprentissage
On me fait parfois la remarque que je confonds mémorisation et apprentissage. Je me suis aussi posé cette question. J'ai tendance à répondre que pour qu'un raisonnement puisse s'exécuter il faut qu'il puisse s'appuyer sur des faits mémorisés ou des résultats d'autres raisonnements également mémorisés sinon c'est une machine qui tourne à vide. Une pensée critique, un argumentaire, un débat contradictoire ne sauraient être menés à bien sans être étayés par des arguments, des faits, des résultats que l'on va rechercher en mémoire pour les agencer de manière pertinente afin de proposer une réponse adaptée à la question qui m'est posée dans le contexte présent. Si un pilote consulte google au moment du décollage de l'avion parce qu'il considère que la mémorisation des procédures est une tâche subalterne, on a du souci à se faire.
Que retenir de tout cela
Les résultats présentés sont issus de recherches scientifiques et ne sont pas de simples opinions.
Se tester engage une réactivation et améliore significativement la mémorisation à long terme.
Se tester est simple à faire, il faut prendre une question puis générer la réponse, faire des liens avec ce que l'on sait déjà, expliquer notre réponse. A partir de cette question on essaie de répondre sur papier ou oralement ou dans sa tête mais sans accès à aucune ressource autre que son cerveau (pas de cours, polycopié, web etc.).
Se tester peut se faire partout, tout le temps.
Se tester améliore la métacognition, je découvre ce que je sais déjà et ce que je ne sais pas encore.
Se tester est désagréable car souvent les réponses ne viennent qu'au prix d'un effort et d'une patience répétés. Il faut accepter de regarder en face l'étendue de ce que je ne sais pas encore.
La réactivation est un outil d'apprentissage contre intuitif et très peu utilisé par les étudiants.
Les relectures multiples offrent un sentiment agréable de fluidité et d'habitude que l'on confond avec de l'apprentissage.
Les relectures multiples nous donnent l'illusion de la compétence, elles nous trompent sur notre capacité à nous souvenir à long terme.
Les relectures multiples sont un moyen de révision très utilisé par les étudiants.
Maintenant testez vous et réactivez en expliquant en une minute (60 secondes...) les points saillants de cet article à un collègue/camarade qui ne l'a pas lu. Si c'est possible, faites-le à voix haute.